Ce travail porte sur le motif polyrythmique de «trois sur quatre» dans la musique écrite en circulation à la Nouvelle-Orléans d’avant le jazz enregistré, de 1835 à 1917. S’inscrivant à l’intersection de l’histoire et de l’analyse du rythme, il propose une analyse comparée à partir de trois méthodologies d’analyse (celle des polyrythmies percussives d’Afrique centrale conçue par Simha Arom,celle des dissonances métriques développée par Harald Krebset celle des polyrythmies dans le jazz mise au point par Laurent Cugny) adaptées et appliquées à des corpus archivistiques dépouillés notamment à la Hogan Jazz Archive (à la Nouvelle-Orléans), rendant compte de la vie musicale dans les salons de la bourgeoisie néo-orléanaise du XIXe siècle, puis de l’émergence du ragtime et du premier jazz. Si tout au long de la période étudiée, les exemples de trois sur quatre sont constitués de la superposition d’une figure rythmique contramétrique sur une figure rythmique commétrique, à partir du ragtime et du premier jazz, un modèle de trois sur quatre se distinguant clairement, quantitativement et qualitativement, de son utilisation au XIXe siècle s’établit: le «paradigme du secondary rag». Un exemple issu de The Banjo (1855) du compositeur néo-orléanais Louis Moreau Gottschalk annonce toutefois ce modèle, offrant ainsi de nouvelles perspectives sur l’histoire du ragtime et du premier jazz et l’histoire du rythme dans ces musiques, témoignant de leurs liens notamment avec d’une part, les musiques traditionnelles africaines et leur habitus contramétrique, d’autre part, la musique savante européenne de tradition tonale et son habitus commétrique, mais aussi avec la musique populaire de banjo de la mi-XIXe siècle, qui avait peut-être déjà alors fait la synthèse de ces éléments.